Accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 : un difficile équilibre entre prévention et réparation

Après une année de négociation, les partenaires sociaux nationaux et interprofessionnels ont abouti, le 15 mai dernier, à la conclusion d’un projet d’Accord National Interprofessionnel (ANI) portant sur le fonctionnement de la branche Accidents du Travail (AT) et Maladies Professionnelles (MP). 

Le texte s’articule autour de deux axes majeurs :

  • La prévention des risques professionnels d’une part,
  • La réparation des AT/MP d’autre part.

 

I) Concernant la prévention des risques professionnels

Les partenaires sociaux font le constat que celle-ci demeure le parent pauvre de la branche AT/MP (les moyens qui lui sont consacrés ne dépassent pas 2% du montant total du budget de cette branche).

Or, les employeurs ont tout intérêt à investir à ce sujet car la hausse des AT/MP a une incidence directe sur le taux de cotisations des entreprises employant 20 salariés ou plus (à terme, les entreprises de moins de 20 salariés devraient également être concernées). 

Pour favoriser la prévention, les partenaires sociaux ont identifié les pistes suivantes :

  • Favoriser les contrats de prévention.

Ces contrats sont conclus entre une Caisse régionale (CARSAT, CRAMIF) et une entreprise de moins de 200 salariés intervenant dans un secteur dans lequel une convention nationale d’objectifs a été signée. Ils supposent l’engagement de l’entreprise dans une démarche globale de prévention des risques professionnels. En échange, la Caisse régionale apporte une aide financière destinée à mettre en place tout ou partie du plan d’action destiné à la prévention des risques professionnels.

  • Multiplier les actions de prévention au sein des TPE.

Des aides peuvent en effet être allouées aux entreprises de moins de 50 salariés pour leur permettre de mettre en place des actions visant à réduire l’exposition des travailleurs à des risques courants, tels que : les troubles musculosquelettiques, les chutes de hauteur, l’exposition à des produits chimiques dangereux, etc. Ces subventions ont pour but de participer financièrement à l’achat d’équipements de prévention, de prestations de formation ou d’évaluation des risques.

  • Les ristournes AT/MP.

L’ANI souhaiterait que la faisabilité d’une ristourne sur les cotisations AT/MP payées par les sociétés soit étudiée lorsque l’entreprise met en place un ensemble de mesure de prévention afin de réduire ses AT/MP. 

 

II) Au-delà de la simple prévention des risques, l’ANI envisage également la réparation des AT/MP

Afin de permettre une meilleure prise en charge des AT/MP, plusieurs mesures sont envisagées :

  • Une mise à jour et une adaptation des tableaux de maladies professionnelles, voire une création de nouveaux tableaux.

Il est vrai que depuis le début des années 2000, une poignée seulement de nouveaux tableaux de maladies professionnelles a été créée et un certain nombre de pathologies, d’ordre psychologique notamment, restent exclues des affections spécifiquement envisagées par le Législateur comme pouvant être d’origine professionnelle.

Pour pallier ce manque, la Loi prévoit le recours à des Comités Régionaux de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) censés se prononcer sur l’origine professionnelle des maladies lorsque les conditions d’un tableau existant ne sont pas toutes réunies ou lorsque la maladie n’est pas prévue dans un tableau mais risque toute de même d’entraîner un taux d’incapacité important chez la victime.

Ce taux, initialement fixé à 66% avait été ramené à 25% en 2002. L’ANI prévoit de l’abaisser encore à 20%.

Cette décision pourrait encore augmenter le nombre de maladies professionnelles reconnues. 

Pour éviter cela, nous recommandons aux employeurs de s’investir davantage lors de l’enquête menée par la CPAM afin de faire valoir leurs arguments en se faisant accompagner, le cas échéant, par un Conseil.

Par ailleurs, l’ANI réclame que dans un second temps, un bilan de la mesure soit réalisé, afin de pouvoir tirer les conséquences de la baisse envisagée du taux d’incapacité et l’évolution nécessaire des moyens associés pour les CRRMP.

Il est vrai qu’outre les problématiques en termes de cotisations AT/MP et de gestion du personnel absent que ne manquerait pas de poser une plus grande reconnaissance des maladies professionnelles, les assurés et les employeurs se heurtent fréquemment à des difficultés bien plus immédiates liées à l’engorgement des CRRMP. 

  • A ce titre, l’ANI appelle à une amélioration du pilotage des CRRMP afin de permettre à la gouvernance de la branche AT/MP d’opérer un suivi et une gestion nationale des dossiers en attente. 

Il faut espérer que cette demande ne reste pas un vœu pieux. En effet, le Législateur a déjà modifié à de nombreuses reprises le fonctionnement des CRRMP et a permis :

  • Que des médecins retraités prennent place dans ces comités, 
  • Que des avis puissent être rendus, par deux et non pas trois médecins,
  • Ou encore qu’un autre CRRMP que celui qui aurait dû être saisi en application des règles de compétence territoriale puisse être désigné. 

Aucune de ces mesures ne semble avoir permis, jusqu’alors, de sérieusement diminuer l’engorgement de ces comités.

  • L’ANI envisage une rénovation des barèmes d’indemnisation prévoyant d’attribuer aux assurés, victimes d’AT/MP, une rente fondée sur un taux d’Incapacité Permanente Partielle (IPP) et évoque une meilleure prise en compte de la perte de gain (coefficient professionnel). 

Il est vrai que ce coefficient professionnel qui peut s’ajouter au taux d’IPP semble être fixé de manière très hétérogène, selon les organismes de sécurité sociale concernés. L’opacité des différentes pratiques conduit ainsi à une sérieuse différence de traitement, selon que les assurés dépendent d’une caisse ou d’une autre. 

  • On notera enfin que l’ANI souhaite rendre effective la possibilité des Commissions de Recours Amiables (CRA) des organismes de sécurité sociale de statuer sur les décisions prises après avis du CRRMP. 

En effet, il apparaît en pratique que les CRA se contentent d’indiquer, dans les dossiers où des CRRMP sont intervenus, que l’avis de ces comités s’imposent aux caisses. Dès lors et quelles que soient les circonstances, les CRA ne font que confirmer les décisions de prise en charge des maladies, sans même s’interroger sur l’hypothèse d’une erreur du CRRMP. Les recours amiables des employeurs sont dès lors souvent voués à l’échec alors même que le préalable de la CRA est obligatoire avant de pouvoir saisir un juge.

Une remise en cause de ce système paraît donc d’autant plus nécessaire.

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Finalement, cet ANI cherche à proposer une réforme équilibrée, renforçant la prise en charge et l’indemnisation des affections professionnelles d’un côté et misant sur les mesures de prévention, de l’autre, afin d’éviter une augmentation du nombre d’AT/MP reconnus chaque année.

Rappelons toutefois que le système est entièrement financé par les cotisations des employeurs et que si les réformes proposées ne devaient pas permettre de faire baisser le nombre d’AT/MP reconnus annuellement, les entreprises verraient automatiquement leurs taux de cotisations augmenter.

Dans ces conditions et plus que jamais, il apparaît opportun, pour les sociétés, de prendre à bras le corps le risque AT/MP en mettant en place des mesures de prévention efficaces et en faisant vérifier par des Conseils spécialisés si les reconnaissances d’AT/MP sont bien justifiées… ce qui n’est pas nécessairement le cas et peut justifier l’engagement de contestations auprès des juridictions de sécurité sociale.

 

Yoann GONTIER

Avocat au Barreau de Rouen