Nouveauté concernant la sanction des décisions collectives au sein des sociétés par actions simplifiées

Cass. Com., 15 mars 2023, n° 18.324 FS-BR

La possibilité de remettre en cause les actes et délibérations des organes sociaux a toujours été appréhendée de manière restrictive par le droit des sociétés compte tenu des implications qu’une telle solution peut avoir sur le fonctionnement du groupement (remise en cause en cascade des décisions sociales).

S’agissant des sociétés commerciales, l’article L235-1 du Code de commerce opère une distinction entre les actes modifiant les statuts et les autres. Pour les actes et délibérations ne modifiant pas les statuts, le texte prévoit que : « la nullité d’actes ou délibérations autres que ceux prévus à l’alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre, à l’exception de la première phrase du premier alinéa de l’article L225-351 et de la troisième phrase du premier alinéa de l’article L225-642, ou des lois qui régissent les contrats, à l’exception du dernier alinéa de l’article 18333 du Code Civil ».

Traditionnellement, sur le fondement de l’article L235-1 du Code de commerce, la jurisprudence renonce à sanctionner par la nullité les décisions collectives des associés ne respectant pas les prescriptions statutaires sous réserve des cas où il est fait usage de la faculté ouverte par une disposition impérative d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci4.

Ce principe de solution a été réaffirmé pour les sociétés civiles dans une décision du 19 mars 20135.

La Cour de cassation a également eu l’occasion d’appliquer ce principe à l’endroit des sociétés par actions simplifiée6.

Cette jurisprudence s’explique là aussi par la nécessité de sauvegarder la sécurité juridique des opérations et éviter une remise en cause en cascade des décisions sociales pouvant avoir un effet très défavorable sur le fonctionnement de la société.

D’un autre côté, ce principe de solution tend à limiter la force obligatoire des statuts dont l’aspect conventionnel est essentiel d’autant plus en présence d’une société par actions simplifiée. En ce sens, les associés se sont mis d’accord sur une règle du jeu dont finalement la violation ne peut – ne pourrait – entraîner la remise en cause de l’acte ou de la délibération ne respectant pas les prévisions statutaires.

C’est surement en considération de cette seconde remarque que la Haute juridiction a décidé de faire évoluer sa position concernant la sanction des décisions collectives prises en violation des statuts, du moins pour les sociétés par actions simplifiée.

Pour rappel, l’article L227-1 du Code de commerce prévoit : « Les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient.
(…),
Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulée à la demande de tout intéressé ».

1 « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre ».
2 « Il – le directoire – détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre, conformément à son intérêt social, en considérant les enjeux sociaux, environnementaux, culturels et sportifs de son activité ».
3 « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
4 Cass. Com., 18 mai 2010, n° 09-14855, FS-PBIR, RJDA 8-9/10 ;
5 Cass. Com., 19 mars 2013, n° 12-15283, Bull IV, n° 44 ;
6 Cass. Com., 26 avril 2017, n° 14-13554, F-D, Rev. Sociétés 2017 p. 422 ;

Dans ce cadre, la Cour de cassation énonce que : « l’alinéa 4 de l’article L227-9 du Code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ».

Dorénavant, un acte ou une délibération ne respectant pas les prévisions statutaires peut être annulé. Sont concernées les actes ou décisions qui ne respectent pas la compétence attribuée à la collectivité des associés par les statuts (article L227-9 alinéa 1) et non visés par une disposition impérative (article L227-9 alinéa 2). Il en est de même des décisions collectives qui ne respectent pas les formes et conditions prévues statutairement (règles de quorum, majorité, type de consultation, modalité d’exercice du droit de vote). En revanche, ne sont pas visés les actes ou décisions portant atteinte aux dispositions statutaires prises en application d’un autre texte (ex : celles portant sur la direction de la société).

La Haute juridiction introduit quand même une condition – non prévue par le fondement textuel – suivant laquelle la violation doit être de nature à influer sur le résultat de la consultation. De quoi peut-il s’agir ? Il faut, semble-t-il, que cette violation puisse aboutir à l’adoption d’une décision qui n’aurait pas été adoptée si les règles prévues par les statuts avaient bien été respectée, ou l’inverse. On peut imaginer que cela soit le cas lorsque les statuts prévoient que telle ou telle décision relève d’une assemblée générale et que l’utilisation, par exemple, du processus de consultation écrite ne permette pas d’avoir des débats permettant de faire évoluer le sens de la décision.

Que penser de cette évolution ?

Assurément ce nouveau principe de solution abouti à renforcer la force obligatoire des prévisions statutaires. Elle engendre également une responsabilité accrue vis-à-vis des rédacteurs qui doivent bien cerner les enjeux relatifs au fonctionnement du groupement afin d’avoir une rédaction claire et adaptée des statuts.

Alexandre Dalion, avocat au barreau de ROUEN – Société FORTIUM CONSEIL, Maître de conférence associé à la faculté de droit d’AMIENS,
Membre de l’association des avocats fiduciaires.